En souffrance, perclus de doutes, le châtiment paraît, hélas ! Trop probable, face à mes anciens alliés villejuifois. Evoquerai-je leur arrivée tardive, le mépris des us, qu’ils renouvelèrent au lendemain ? Ma foi, c’est déjà fait, et la réputation des arbitres français, qui n’est plus à faire, se confirme par l’absence totale de sanction à l’encontre des fautifs.
Où en étais-je ? Ah, oui, les arbitres. Non, pardon, Villejuif. Vingt minutes après le début officiel de la rencontre, les villejuifois ont une heure et quinze minutes à leur cadran, évidemment. L’argument imparable fut que commencer sans les attendre un peu « n’aurait pas été fair-play ». Félicitons encore le juge bourreau pour son office. Rassurez-vous, il n’est pas au bout de ses peines.
Au match, donc. Pour la première fois de la saison, Peio et moi pouvons tourner, et j’en profite donc pour subtiliser la tête au basque, à l’abri des préparations ciblées ce week-end, tandis que l’agneau sacrificiel cache quelques poils gris sous sa peluche. Le reste est en soi classique, en ordre, contrairement à certains. Privés de notre joueuse attitrée, nous sommes dominés de 500 points au dernier échiquier, 200 au premier, 100 au milieu, pour quelques « 50-50 ». Une bagatelle, donc.
Une petite surprise concoctée de longue date atteint mon adversaire, contraint d’investir davantage de son temps portionné (qui eu dût être plus congru). Une mâchoire féroce se referme sur du vide, ou presque : un pion est emporté, mais l’harmonie noire est en question. Oui, l’écrivain est matérialiste.
Malgré mes efforts, je n’avais aucun moyen de supplanter la « nouveauté théorique » de mon voisin, lequel provoqua une apnée de 20 minutes au second coup blanc paru. Alors que nous allions appeler les pompiers (ce qui, avouons-le, n’était pas très fair-play), Christophe Sochacki joue finalement quelques coups de développement, avant d’entrer dans une ligne complexe, ambitieuse, et dangereuse pour les deux camps, quand Peio entend conserver la main malgré tout. Une opposition de styles attendue, et désirée par le spectateur aux premières loges.
Ronan souffre un peu dans le milieu de jeu, mais rien de terrifiant. Une imprécision mutuelle le laisse détenteur d’engrais naturel. Comment ça, je ne suis pas inspiré ?
Notre président obtient très vite par son Italienne fétiche un avantage imposant, par son approche très entreprenante. Gare, cependant, le joueur menant les noirs est connu pour ne trépasser qu’au prix de la sueur du bourreau. Diantre, non, pas celle de l’arbitre, ne manquerait plus que cela !
L’univers est suspendu, la matière oubliée, les sables du temps en ont perdu la gravité. Vous l’avez compris, Boris a plongé son adversaire en zeitnot, dans une position excellente pour lui, qu’il convertira par un gain de pièce rapide. Vous avez bien lu. Rapide.
Rémi, plus patient, construit dans une structure qui fait partie du répertoire adverse. Ma’at, une plume en main, ne sait pas encore quel coeur peser. Logiquement, l’anomalie temporelle créée par Boris devrait permettre à la déesse d’anticiper le poids à l’âme du perdant. Mais alors, est-ce la pesanteur qui l’a fait perdre, ou la défaite qui l’a alourdi, ou vice versa ? Ou vice versa ? La poule en savoure son omelette.
L’arrière est en forme, avec Justin qui prend l’avantage dès l’ouverture, et ne le lâche jamais. Il est le premier à marquer, tandis que Chrystèle, dépossédée de ses pions à l’aile-dame, doit s’avouer vaincue. L’égalité demeure.
Elle sera vite brisée quand Ronan, puis Mickaël, retourné, doivent rendre les armes. Rémi en fait de même, respectant la seconde place de Villejuif au classement de la division. Pourtant, tout n’est pas fini.
Peio, d’abord totalement gagnant, laisse filer le frétillant Sochacki, mais remet ses mains sur l’animal, pour le placer sur le billot. Comme dans un bon sushi, la question n’est plus que celle du nombre de tranches. Boris, de son côté, va remporter sa finale peu après le contrôle du temps.
Ah, le contrôle du temps. Nous sommes virtuellement à quatre trois pour Villejuif. Auteur d’un coup honteux en début de milieu de jeu, j’ai survécu sans trop savoir pourquoi ni comment, mais la position sur l’échiquier est maintenant équilibrée, et nulle immédiatement au besoin. Sortant de la salle après le zeitnot mutuel, je reviens quelques minutes plus tard pour être prévenu par le grand-maître adverse d’un défaut pendulaire. Le 0.00 sur son cadran est quelque peu éloquent, alors que nous sommes au 41ème coup. Après lui avoir littéralement couru après, le conducteur des blancs finit par obtenir le règlement de la situation. Je tente de créer des chances de gain, mais celles-ci sont inexistantes, et Jonathan Dourerassou, précis, m’exécute enfin.
Le résultat est cohérent, mais à regarder les parties de plus près, nous aurions pu l’emporter. Mickaël était à la limite de la victoire lorsqu’il fut brisé, et alors, alors…
Oui, je sais, avec des « et si ». Et si Villejuif avait eu une heure à l’arrivée de ses joueurs comme le règlement le stipule. Et si Einstein s’était trompé en invoquant ses deux certitudes : l’infinité de l’univers, et la bêtise humaine. Certes, il doutait encore de la première. Et franchement, ce n’est pas très fair-play.