…Mes yeux s’ouvrent. Mon instinct aventurier me pousse à chercher mon téléphone au beau milieu des décombres, afin d’y voir plus clair dans la temporalité de ma nuit. Au dehors, les éclairs illuminent partiellement mes recherches, mais le fracas de la tempête déstabilise mon avancée. Courageux, je me fraye un chemin jusque sous la couette.
Le lit tangue, lorsque je l’explore de fond en comble. Mais nulle trace du précieux dans ce bas monde. Un quart de tour vers Ronan. Me voilà rampant, jambes au matelas, bras ballants. Le voilà! 4h10, seulement. Tiens, la chaussette de mon voisin que je sens là. Je retourne dans mes appartements.
5H00 maintenant. Mon repos peine à se prolonger, Thor martèle sans discontinuer les toits au-dessus de nos couches et le doux ronflement de mon collègue n’est pas vraiment l’adoucissant escompté. En alerte depuis trop de temps, mon esprit se mêle à cette orchestre discordieux et me voilà bien-pensant, au match et ses enjeux.
Il plane, il pèse dans la pièce toujours grondante, 6h00 passées et les remords d’une défaite au temps la veille ne me lâchent pas. Une demi-heure plus tard, la pluie battante n’est plus qu’une vieille rengaine, au rythme laconique d’un sablier qui s’égrène.
Dans un dernier souffle, je médite et me met à penser: Fruit du Styx ou eau bénite? Et si tout ce vacarme n’était que jugement dernier? Vers 7h00 cesse l’orage, et dans les cieux je perçois cet ultime message: REVEILLEZ-VOUS. J’ouvre les yeux…
…Sur les compositions d’équipe. La parole est à la table 4.
Echiquier de l’Erdre | Cherbourg Octeville |
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Duboué Peio 2414 | Chaplain Fabrice 2151 |
Le Goff Ronan 2288 | Lepigoché Cyril 2148 |
Hutois Mickaël 2243 | Peigney Frédéric 2173 |
Le Ruyet Léopold 2291 | Bourdonnais Loïc 2214 |
Prodhomme Boris 2105 | Levitt Olivier 2051 |
Picard Remi 2068 | Viel Simon 2144 |
Hourlier Claire 1966 | Leroy Olivier 2117 |
Aubry Justin 1870 | Benard Anne-Laurie 2018 |
Ces yeux qui ne voyaient pas clair, s’égaraient entre deux mondes, ils avaient pleuré jusqu’au sang, saigné jusqu’aux larmes, si des yeux pouvaient dévorer l’espoir et n’en tirer plus qu’un soupir, ou pire, ou pire…
Perdus pour les échecs, pour la division, ils nous restent les rires, ces pâles effigies d’un plaisir narcissique que nous avons mis en commun pour une cause. Une cause qui pour certains est peu de choses, et se repaît des autres. Alors prenons les rires, arrachons-en les dents, et plongeons-les dans les carotides innocentes de nos ennemis.
Vouliez-vous de la poésie ? Elle viendra, plus tard. Permettez à l’aède de vous offrir ses flammes, triomphant de la plume. Car j’ai déjà assez des cantiques de nos défaites, et, bientôt, vous m’imiterez.
La brume spectrale recouvrait, comme une atmosphère magique, surréelle, le bois dont seraient faites nos armes. Pas aujourd’hui, criaient les augures à Oreste. Ou était-ce Cassandre, qui sait, qui sait…
Le bal des clowns est de sortie sur nos tables, le fond du fond, la crème de la misère, qui se servirait bien un verre à la cuvette pour étancher sa soif. Oui, nous en sommes là. Voyez-vous ces interstices emplis de poussière, ensevelis entre les cases des échiquiers ? Là sont posées nos pièces, et le hasard nous en sauvera peut-être. Ou peut-être pas.
Dans la mésintelligence omniprésente, le tocsin sonne. Un mort, déjà. Regardez les couleurs quitter son visage, quand il se lève, et s’écroule. Se lève, et s’écroule. Encore. Et encore. Et encore.
Puis il est démasqué, non qu’il se fût caché, le capitaine nordiste. J’étais si occupé à vous conter nos malheurs, que j’en ai oublié cette partie, plus gagnée par les grâces d’une machine froide que les miennes. Mais ne sommes-nous pas tous des machines froides, susurrent les augures.
Non ! Même sorti, à constater notre impuissance mutuelle à améliorer notre lutte matinale, avec mon adversaire vaincu, je crois au cœur de nos hommes et femme. Boire à la cuvette, certes, mais si celle-ci est d’or ! Comme ce cœur battant d’une seule force.
Boris, décidé à faire briller son marbre, transcende l’énergie du nexus ed45, et repousse des deux mains l’armée de Levitt, qui plie, plie, plie. Et rompt !
Est-ce notre président qui danse ainsi, comme un fou, là-bas, depuis ses premières secondes ? Ma vue se brouille, les aboiements des Erinyes vengeresses se mêlent à la pompe géante rassemblant nos âmes, même pour un jour, même pour une heure. Un instant suffit. Repoussé, Peigney, dont les lampées goulues de café brûlant doivent rappeler à mes démons leurs supplices favoris, s’incline, lui aussi. Un triangle vainqueur est formé.
Notre champion, rêvant toujours de ces jours qui ne reviennent plus, aura trop peu à son réveil pour terrifier l’impassible Chaplain. Les seuls à craquer le seront manuellement.
Ceux de Ronan, à ses côtés, sont broyés, l’un après l’autre, sous les coups de masse incessamment fredonnés par Lepigoché. Les deux bras arrachés, notre second pense à ses jambes, à sa famille, et cède. L’avant a terminé son œuvre, et nous pouvons toujours être battus.
Justin, au sommet de la colline, l’élégant fleuret dans sa main droite, attend la charge d’Anne-Laurie Bénard et ses deux haches. L’une est de bois, l’autre de plastique. Las, persuadé par ces chiennes d’augures, il stoppe la fausse attaque, et sa tête tombe, les yeux écarquillés de choc.
Deux routes se croisent, et se confondent, dans l’éternité des possibles. L’écho guingampais résonne dans nos têtes, plus fort, alors que les voisins sautronnais n’en mènent pas large face aux bourreaux bretons. Eris se dresse, la coupable des foudres nocturnes se révèle. Mais c’est Thémis, et son plateau céleste, qui tient notre sort. Ce qu’elle nous a pris, à Tours, et hier, elle doit le rendre, et le sait. Un rayon de soleil éclaire le ciel cherbourgeois. La comète de Halley est moins rare. Le signe, véritable clin d’œil du destin, me rassérène. A raison. Viel le Valeureux, sachant le triomphe délictueux au septième combat, lance toutes ses armes, crie à Rémi, dans sa forteresse, de sortir, s’il est un homme. Et Rémi, qui sent l’heure arrivée, jaillit.
Les deux guerriers, entre bravoure et honneur, se jaugent, quand chacun lance sa dame à l’assaut. Les sortilèges des enchanteresses s’annulent, quand Rémi, qui de son expérience sait mieux l’histoire, introduit le cheval de Troie sur la première rangée. Le destrier est conspué, ridiculisé, le roi blanc lui-même vient à l’équarrissement. Et de la tête tranchée surgit son maître, qui rend la politesse d’un geste auguste. Claire se joint au triomphe en acquittant Leroy pour ses péchés en finale.
Souvenez-vous, femmes et hommes, de la bataille de Cherbourg. Où deux armées maudites, qu’on disait condamnées, s’affrontèrent, dans le respect, et l’honneur. A coups brusques, violents, subtils, mesquins. Souvenez-vous de la ruse, de la victoire, la première, enfin.
Le cœur sucéen, plus grand que jamais, bat son plein, palpite. Les flammes se sont éteintes, mais gare ! Elles crépitent, crépitent. Crépitent.