Samedi 9 Janvier 2016, jour de match pour l’Echiquier de L’Erdre et accessoirement jour d’anniversaire pour Gennaro Gattuso. Aucun rapport me direz-vous. A vrai dire il y en a un. Dans ces sempiternels matches au couteau face à Cherbourg, la victoire ne va pas toujours aux plus talentueux, mais bien plus souvent aux plus combatifs, aux plus mordants. Le champion du monde 2006 en était la parfaite illustration.
L’équipe sucéenne arrive détrempée dans la salle de jeu avec un petit quart d’heure de retard, décalage horaire normand sans nul doute. Après essorage, la moyenne élo de l’équipe a légèrement rétrécit et les compositions sont les suivantes:
Cherbourg Octeville | Echiquier de l’Erdre |
---|---|
Bourdonnais Loïc 2238 | Duboué Peio 2372 |
Ledoux Jean-Luc 2053 | Le Goff Ronan 2299 |
Lepigoche Cyril 2121 | Hutois Mickaël 2253 |
Leroy Olivier 2137 | Crouan Stéphane 2177 |
Viel Simon 2052 | Prodhomme Boris 2127 |
Chaplain Fabrice 2110 | Prodhomme Adrien 1904 |
Levitt Olivier 2035 | Aubry Justin 1881 |
Benard Anne-Laurie 1984 | Terrazzoni Claire 1844 |
Les parties débutent, 1:27 au cadran. Peio avec les noirs a une tâche plus ardue qu’il n’y paraît puisque son adversaire est en grande forme. Mais l’anglaise adverse ne décontenance pas notre joueur qui récite assez vite des coups solides sans être inquiété.
Ronan avec les blancs entre dans une est-indienne par un système de son cru que l’on qualifiera d’inoffensif ou d’ambigu, au mieux. Assez vite la paire de fous le quitte pour une meilleure structure. Il obtient alors une bonne position sans aucun doute, mais le bal fou-cavalier qu’il concocte à l’aile roi semble en dire long sur sa capacité à faire pencher la partie en sa faveur.
Jusqu’ici, il n’y a bien que l’adversaire de Mickaël pour trouver l’inspiration alors que la tempête fait rage dans la machine à café d’à côté, et qu’il pleut toujours du jus de chaussette dans la grisaille cherbourgeoise. Toujours est-il que Lepigoche s’est illuminé au moment de sacrifier une pièce pour 3 pions. Seule Dame Goulue est désormais active de son côté, alors que notre joueur a plusieurs cordes à son arc.
L’adversaire de Stéphane, atteint d’une dragonnite aiguë depuis le plus jeune âge, ne joue qu’avec les noirs par équipe afin de dégoupiller sa sicilienne favorite dès que possible. Il n’est d’ailleurs guère indisposé par la disparition pourtant grave de son fou de case blanche après Cxe6 – f7xe6, seul le fou g7 méritant considération dans son esprit. Ici encore, nous sommes confiants.
Au 5ème échiquier avec les noirs, Boris fait face à un jeune pousse de la formation manchote. Dans leur plus pure tradition kamikaze, l’insolent envoie valser son cavalier en e6 pour récupérer 3 pions, faisant face à une grosse initiative de notre homme.
Le petit frère sous son aile n’a guère le droit à un tel feu d’artifice. Chaplain et lui s’amusent à la construction d’une muraille blanche et noire, symbole de paix. L’esthétisme de la position aura au moins le mérite de contre-balancer son inintérêt. On ne voit pas ici comme la nulle pourrait être évitée.
Au 7, nous fêtions la 1000ème Caro-Kahn de Justin en compétition officielle. Un record mondial dont il peut être fier. Celle du jour a pourtant un goût amer. Quelques échanges de pions dans l’ouverture l’amène à subir un 2 contre 3 à l’aile dame, alors que sa majorité à l’aile roi ne peut s’exprimer.
Plus loin, Claire pour son baptême dans l’équipe a avalé l’ostie de travers et déglutit un pion dans l’ouverture, qui se transforme vite en finale. Combative, elle active ses pièces et tente de trouver du contre-jeu où elle peut. Mais pas sur que la colonne f suffise à absoudre ses pêchés.
Très vite, Mickaël va faire fructifier son activité et sa pièce de plus par un coup tactique sans pitié. Le roque s’érode. Taquin, son opposant lui laisse même poser mat, espèrant peut-être la main de notre président trembler. Sans surprise, le roi s’écroule finalement, devant une foule hilare, 1-0.
Plus haut, Peio a dynamité le python qui s’apprêtait à l’étouffer au moment opportun. Une combinaison fourchue plus tard, il double la mise, 2-0.
Alors que la pluie s’intensifie, les escargots de l’Erdre pointent le bout de leur antenne sur les échiquiers 4 à 8. Une éternelle rengaine qui poursuit nos héros colimaçons. Ce n’est pourtant pas ce qui fait perdre Stéphane, foudroyé par une erreur de calcul qu’un dragon ne laisse pas passer 2-1.
Claire qui n’aura cessé de s’accrocher aux branches dans une finale avec un pion de moins, finira par craquer 2-2.
Adrien en zeitnot, et c’est un euphémisme, tourne en rond derrière ses remparts. La nuit tombant, une fourberie Ulyssienne pénètre la ville et à l’Aube, notre joueur est pris d’assaut par un cheval de Troie, de Troyes, 2-3.
Boris n’a pas trouvé le moyen d’accroître son avantage d’une pièce et après un échange de dames effrayants, les pions blancs ennemis en surnombre semblent déterminés à féconder la dernière rangée. Mais au moment de conclure, Viel lui offre une nulle contraceptive qu’il s’empresse d’accepter. 2-3, restent deux parties.
Un peu plus tôt, Ronan avait involontairement sacrifié une pièce pour 2 pions, suite à un calcul d’une profondeur sans fond, s’avérant en réalité éronné dès le premier coup. Fair-play, son belligérant lui avait fait don d’un troisième pion, rendant la partie embrumée. Finalement revigoré par cet offrande, il l’emporta après avoir hésité à proposer nulle. 3-3.
Ne restait que Justin, le buteur des arrêts de jeu, l’homme providentiel, le messie, le gentil qui surgit toujours à la fin alors qu’on le croyait disparu. Il a gravit des montagnes, maitrisé des océans et terrassé les intempéries normandes pour revenir de l’enfer. Dans un Disney, cette aventure se serait achevée par la victoire sans coup férir de notre héros.
Aujourd’hui le voilà, affalé au fond de sa chaise table 7, touillette à la bouche et 10 secondes à la pendule. Son histoire est celle-ci, celle d’un Gennaro Gattuso désabusé qui s’est battu jusqu’à faire promotion fou pour le spectacle, qui n’a pas lâché et en qui nous avons toujours cru malgré une poubelle et 200 points d’infériorité élo. Nul doute qu’un jour, le vent tournera, pour lui et pour nous, défaits 3-4 dans un match qu’il ne fallait pourtant pas perdre.